Le handicap n’a pas besoin d’un ministère, mais d’une politique.

Image floue d'un banc des ministres

En 2024, Michel Barnier avait présenté son premier gouvernement sans ministre du handicap. Le scandale fut immédiat. Quelques jours plus tard, une ministre déléguée était nommée en urgence pour réparer l’omission. Mais comment croire à l’autorité d’un portefeuille qui n’avait même pas été prévu ? Ce geste disait tout : le handicap doit être visible mais pas nécessairement puissant.

Aujourd’hui, à la veille de l’annonce du gouvernement de Sébastien Lecornu, la même question resurgit. Quelle place réelle voulons-nous donner à ces enjeux dans l’architecture de l’État ?

Une histoire d’instabilité institutionnelle

Depuis 1968, le handicap a bien eu ses secrétaires d’État et ses ministres délégués, une trentaine en tout. Mais toujours rattachés à un ministère « tuteur » : Affaires sociales, Santé, Famille, Exclusion, Vieillissement. Comme si ce portefeuille cherchait toujours sa place.

La loi de 2005, portée par Marie-Anne Montchamp, a marqué un jalon : elle a consacré le principe d’accessibilité universelle et posé la citoyenneté des personnes handicapées comme une obligation républicaine. Mais faute de leviers, ses ambitions ont souvent buté sur la réalité des arbitrages.

Sophie Cluzel, entre 2017 et 2022, fut pour la première fois directement rattachée au Premier ministre. Ce choix donnait un signal politique fort, mais n’a pas suffi à lui donner un vrai pouvoir d’action. Les décisions essentielles continuaient à se prendre ailleurs : à Bercy, au Logement, aux Transports.

En vérité, ce ministère est resté un symbole, plus qu’un centre de gravité.

Sortir des logiques en silo

Les personnes handicapées et les personnes âgées partagent des problématiques largement similaires :

  • Vivre dans un logement accessible et adapté.
  • Se déplacer en toute sécurité.
  • Accéder aux soins.
  • Bénéficier d’aide humaine.
  • Participer pleinement à la vie sociale et citoyenne.

Ces enjeux sont communs, c’est pourquoi il est artificiel de maintenir deux portefeuilles séparés, comme si l’âge et le handicap appelaient des réponses radicalement différentes.

À ces réalités s’ajoutent des chiffres qui parlent d’eux-mêmes :

  • 12 millions de personnes handicapées,
  • 20 millions de personnes âgées,
  • et des millions d’aidants, familiaux comme professionnels.

Réunis, ce sont plus de 30 millions de citoyens directement concernés, et pratiquement chaque famille française si l’on inclut les aidants.

Séparer les politiques, c’est fragmenter la réponse et diluer le sujet. Les réunir, c’est donner un poids politique considérable à l’autonomie, capable de dialoguer d’égal à égal avec l’Économie, le Logement ou les Transports.

Autonomie et accessibilité : deux piliers distincts

Il faut distinguer deux logiques complémentaires :

  • L’autonomie, qui concerne les personnes : compensation, aide humaine, accompagnement. Elle englobe handicap et vieillissement, car les besoins convergent. C’est là que doit se situer un ministère fort, capable de peser dans les arbitrages et de donner de la cohérence aux politiques de soutien.
  • L’accessibilité, qui concerne l’environnement : logement, urbanisme, transports, numérique, culture. Elle ne relève pas d’un seul ministère, mais doit devenir une exigence transversale. C’est le rôle du délégué interministériel à l’accessibilité, qui doit être renforcé pour faire respecter une règle simple : concevoir pour tous, et faire respecter la loi tout simplement.

Cette distinction est clé : elle permet de sortir des catégories et de fonder une politique universelle qui traite l’autonomie comme un choix collectif et l’accessibilité comme une norme de civilisation.

L’égalité réelle comme boussole

Alors, faut-il vraiment un ministre du handicap ? La vraie question est ailleurs : voulons-nous continuer à traiter l’autonomie comme un sujet secondaire, ou en faire une boussole pour l’action publique des prochaines décennies ?

Car derrière cette interrogation se joue plus qu’un choix institutionnel. C’est la promesse républicaine qui est en cause : l’égalité réelle, vécue au quotidien, aujourd’hui proclamée mais bafouée. Une société qui choisit d’assumer l’autonomie comme horizon ne parle pas seulement des personnes âgées ou handicapées : elle parle de nous tous, de notre manière d’habiter le temps, la ville, le travail, le lien social.

Be the first to reply

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *