Cette semaine, je me suis rendue au Sénat pour assister à une conférence. Et je vous le donne en mille : l’entrée n’est pas accessible en fauteuil ! (Le comble quand même pour une institution qui vote les lois, mais bon… je ne me formaliserai pas là-dessus cette fois, car j’ai beaucoup plus intéressant à vous raconter). Pour accéder à l’intérieur, il faut descendre « à pieds » la rampe du parking jusqu’au deuxième sous-sol pour prendre un ascenseur caché au fond d’une allée de voitures.
Et là, meilleure blague de France, cette porte :
Vous avez bien lu : Accès réservé à Messieurs les Handicapés.
Un peu surprise, j’ai dit au vigile qui m’accompagnait « Hahah elle est super drôle votre porte ! », et il l’a regardée avec un air perplexe. Manifestement, lui, ne trouvait pas ça hilarant.
Et là je me suis rendu compte que ma réaction (un peu offensée, choquée, dérangée par cette porte), était super symptomatique d’un vrai mal de notre société qui refuse de plus en plus d’employer le mot « handicapé », au profit de périphrases archi édulcorées.
D’habitude, on se serait contenté d’un picto bleu, ou pire, d’un sigle qui ne veut rien dire (genre un bon vieux « PMR »), pour ne pas choquer, ne pas nommer. Alors que cette porte, bien que surprenante, avait le mérite d’assumer, d’appeler un chat un chat. Elle était chouette !
Vous voyez, on ne doit plus dire « handicapé », ni « personne handicapée », mais « personne en situation de handicap ». Et je comprends bien la nuance, c’est vrai que cette logique va plutôt dans le bon sens : ne pas réduire les gens à leur handicap, mais plutôt induire le fait qu’une personne est en situation de handicap dans un environnement précis, quand celui-ci la met en situation d’incapacité… c’est super important, pour que la société devienne plus inclusive, que les individus soient valorisés et respectés etc. Il y a cinquante ans, on parlait d’infirmes, donc y’a eu du progrès, c’est sûr. Non en fait, pas si sûr…
J’ai rencontré des gens qui m’ont dit préférer les termes de « fragilité », ou de « différence » ! Seriously ? Bah vas-y, on a qu’à s’autoproclammer « personnes extra-ordinaires » tant qu’on y est !
Au début, moi aussi je jouais le jeu, quand je parlais en public, je disais systématiquement « personnes en situation de handicap », « personnes à mobilité réduite »… Mais en fait, je trouve ça :
1/ super pénible à l’oral, il faut dix ans pour sortir une phrase
2/ un peu ridicule,
3/ fondamentalement contreproductif.
Je trouve ça super dangereux de ne pas nommer les choses. De ne pas oser, par peur de vexer, de rappeler à l’autre sa différence. Une fois de plus, je comprends l’idée, ce mot, handicapé, est moche, et il ne veut finalement pas dire grand chose, mais : STOP. Assumons, merde.
Au cas où on en douterait, je suis au courant que je suis en fauteuil, je ne prétends pas le contraire, et ça ne me gêne pas qu’on me le signifie. De la même manière que je n’ai pas de problème à être qualifiée de « femme », de « brune », de « petite ». Vous imaginez si « femme » devenait un mot tabou, et qu’on se mettait à parler de « personnes en situation de féminité » ? Est-ce que ce ne serait pas pire que tout ?
Handicapé n’est pas un gros mot, et nous sommes en train d’en faire un !
Alors merci petite porte rouge du Sénat. Ce serait évidemment mieux si tu n’étais pas au fond d’un parking, voire si tu n’existais pas du tout, – et puis tant qu’on y est, rajoute un « Mesdames » sur ton panneau aussi -, mais tu as le mérites de ne pas avoir peur. Et ça, c’est bien.
Une belle leçon pour tous les handicapés du cerveau qui nous expliquent à longueur de temps ce qu’on peut dire et ce qu’on ne peut pas.
Merci pour ce moment 🙂